Qui gagnera ou perdra la bataille de la révision du Code minier ? Qui sortira avec des égratignures ? Qui acceptera la défaite ? L’industrie minière congolaise est à la croisée des chemins. Le Code minier de 2002 a été révisé par l’Etat. Mais, les principaux producteurs miniers du pays s’y opposent. Malheur à ces derniers car, le code a déjà été promulgué. Mais est-ce la fin du match ? Nul ne saurait le dire pour l’instant. Le gouvernement a promis d’étudier au cas par cas, les revendications des miniers selon leurs filières.
Récemment à Indaba, le patron de Randgold, Mark Bristow déclarait : « La capacité de l’industrie minière à fonctionner en tant que principal moteur de croissance économique en Afrique en général et en RDC en particulier, est menacée par le changement des lois. Les pays hôtes et les investisseurs devraient travailler ensemble pour relever de nombreux défis. Dommage, on est en train d’insérer un nouveau chapitre dans un vieux livre. Pendant que l’industrie minière tente de sortir de la dernière crise, la RDC veut tout gagner avec sa nouvelle fiscalité, alors que les compagnies sont sous pression et luttent pour l’amortissement des investissements. L’Etat aujourd’hui est hanté par l’idée de rattraper son retard de développement par les investissements existants. Il devrait plus penser à ce qui manque cruellement au pays. Il faut songer aux nouveaux investissements ».
La libéralisation de l’économie du continent depuis 1990, a attiré beaucoup d’investissements directs étrangers. La tendance s’inverse aujourd’hui. Les Etats ont l’impression d’avoir échoué avec la libéralisation, la privatisation et les programmes d’ajustement structurels. La remise en question s’impose. « En dépit de son grand potentiel minier, l’Afrique n’a effectué que 14% des dépenses d’exploration en 2017 contre 30 % en Amérique du Sud et 28 % en Amérique du Nord. En mettant en place des lois attractives, les opérateurs ont pris les risques liés à l’instabilité politique en Afrique et au manque d’infrastructures et de compétences. Exiger plus aux compagnies dans une vision à court terme, les pousserait à fermer. Ce qui engendrerait des conséquences néfastes pour l’économie. De plus, cette tendance de vouloir modifier la loi à chaque fois qu’il y a hausse des matières premières sur le marché international, ne sécurise pas les investisseurs » selon Bristow. Il faut consolider des partenariats entre l’Etat et les miniers.
Partenariats Etat-compagnies minières, un abus de concept ?
Pour Mark Bristow, tout ce que les sociétés minières ont fait jusque-là, est menacé par l’attitude du gouvernement. Il avance l’argument de la nouvelle direction de l’ANC en Afrique du Sud qui est intervenue quant au débat sur le Code minier sud-africain. Il appelle le gouvernement congolais au bon sens. Le nouveau Code minier d’après le CEO de Randgold, « semble basé sur une prémisse irrationnelle selon laquelle l’Etat a le droit sur l’ensemble de flux nets de trésorerie des mines ». Il est parmi les opérateurs qui demandaient à la RDC de ne pas promulguer ce code. Plusieurs correspondances avaient été adressées au président Kabila sur la question. Ce sujet a dominé les débats à Indaba où l’on a assisté aux tirs croisés entre les parties. Au-delà du dicible, les à côté d’Indaba
Ce qui s’est réellement passé que beaucoup ignorent, ce dont on ne parle pas, alors que les faits sont significatifs et révélateurs de la cacophonie. La grande messe minière de l’Afrique a débuté le 5 février. C’est le jour choisi par le Président du Conseil d’Administration de la Gécamines, Albert Yuma pour prononcer son discours avant l’arrivée du ministre des Mines, Martin Kabwelulu à Cape Town. Notons que Yuma est aussi Président de la FEC. Lors de son adresse à l’auditoire, il a soutenu la révision du Code minier, une démarche à laquelle il s’opposait au départ. Un revirement à 180 degrés. L’homme qui affirmait par ailleurs que la Gécamines allait bien avec les divers plans de relance initiés depuis 2011, a reconnu l’échec. S’est-il amendé ? S’agit-il d’un mea culpa ? Pour lui, la Gécamines a été roulée par ses partenaires depuis une quinzaine d’années. Il parle des renégociations de tous les partenariats signés par son entreprise. Il va même très loin en brandissant la menace de « nationalisation » pour les entreprises opposées aux négociations et au compromis. « Les Congolais ne doivent pas rester spectateurs de l’exploitation de leurs richesses. Ils doivent en bénéficier. Le monde aura toujours besoin du cobalt. Si vous quittez aujourd’hui la RDC, les autres viendront demain. En vertu de quel principe, les compagnies doivent s’opposer aux lois du pays hôte qui est Etat souverain ?», s’est-il exprimé. Une dose de nationalisme mêlée à la révolte au regard de ce que beaucoup de partenaires de la Gécamines ont fait et gagné au Congo.
Cependant, le discours de Yuma a soulevé un tollé dans le chef des opérateurs miniers basés en RDC. La première réaction est celle de Mark Bristow qui a mal digéré le discours de Yuma. C’est ainsi qu’il a sollicité une rencontre secrète avec Martin Kabwelulu. Rencontre à laquelle Yuma a été écarté. Qui l’a mis de côté ? Kabwelulu ou Bristow ? Seuls les initiés ont la réponse. Le patron de Randgold a exprimé toute son indignation au ministre quant au comportement de Yuma. Martin Kabwelulu s’est adressé à Mark Bristow en ces termes : « Pourquoi revenir encore sur le code ? Tout a été dit pendant les discussions tripartites. La loi a été votée au parlement et est sur la table du Chef de l’Etat qui doit la promulguer. Le gouvernement ne peut rien faire. Si vous la contestez, saisissez la Cour constitutionnelle. Concernant les propos de Yuma, je ne suis pas concerné. Ses propos l’engagent. Il est à la tête d’une entreprise publique, mais il est souvent en porte à faux avec nous. Il est votre Président à la FEC. Si vous avez des préoccupations, allez les régler à la chambre des Mines ». Pendant que Kabwelulu s’entretient avec Bristow, Yuma anime un point de presse au cours duquel, il réitère sa position avant d’organiser le dîner. Il éloigne à son tour le ministre de ses activités.
La métaphore du feu de brousse
Le jour du breakfast de la RDC, Yuma sèche la séance. Kabwelulu s’adresse à l’assistance. Il tient mordicus à la révision du code en recourant à la figure du style : « La révision de la loi ressemble au feu de brousse. Les herbes sont consumées par le feu, mais d’autres poussent toujours après les pluies. Les opérateurs miniers mécontents du nouveau code n’ont pas raison car, ils avaient pris une part active pendant son élaboration. S’ils quittent le Congo aujourd’hui, les autres viendront. Les richesses appartiennent à la RDC. Il est inacceptable que les richesses profitent aux multinationales et les Congolais croupissent dans la misère. Les réalisations sociales tant vantées par les miniers ne sont que du bluff. La situation par exemple des communautés délocalisées et relocalisées par certaines compagnies, n’a rien changé. Elles sont toujours pauvres. L’environnement est dévasté. Que représentent de petites maisons de quelques mètres pour des gens qui perdent leur patrimoine ancestral ou culturel dont les terres, les forêts et les rivières? Où est le développement ? Avant l’arrivée des compagnies minières, les villageois étaient fiers de leurs huttes. Ils cultivaient et vivaient des produits de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Ils n’ont demandé à personne de venir occuper leurs terres. Mais parce que les miniers les ont envahis, il faut des contreparties ». Ce sursaut d’orgueil national du ministre est soutenu par le gouverneur de Lualaba, Richard Muyez, présent à Indaba à la tête de la délégation provinciale. En accordant la parole aux hommes d’affaires, à la société civile, à Claude Polet et à Simon Tumawaku de la Chambre des Mines, Kabwelulu savait que Yuma ne serait pas dans la salle compte tenu de ce qui s’est passé. Toutefois, il l’a invité à prendre la parole afin de s’adresser « à ses amis de la FEC ». Constat ? Yuma absent, introuvable et invisible.
Les délégations parallèles ou la tour de Babel ?
Les propos de Yuma et Kabwelu ont suscité des remous des miniers. La RDC ne parle pas d’une seule voix. Yuma s’est fait accompagner de quelques parlementaires. Pour faire quoi à Indaba ? Peut-être pour convaincre les miniers à accepter la nouvelle loi et les renégociations des partenariats de la Gécamines. Est-ce vraiment le cadre ? L’ont-ils fait ? Ces parlementaires sont-ils mieux placés. Notre rédaction a plus de doute que de certitude sur ces questions. Yuma a fait cavalier seul ; Kabwelulu aussi. Un membre de la délégation de Kabwelulu nous dit que « le ministre a raison de recadrer les choses, puisque Yuma agit comme un électron libre ». Dans la salle d’exposition, on pouvait apercevoir le stand de Lualaba à quelques mètres de celui de la RDC. Alors que pour les autres pays, seuls les stands des Etats et des entreprises étaient visibles et non ceux des régions. Une « innovation » pour la RDC ? On n’en sait rien. Est-ce la cause commune pour les officiels congolais ?
«Dédoublement » à la chambre des Mines ou crise de confiance?
Tout porte à croire que la FEC est divisée sur la retouche de la loi minière. Claude Polet, Président de la Chambre des Mines/FEC est favorable au nouveau code. Notons qu’il est cadre à TFM, une entreprise régie par la Convention. De ce fait, il est épargné par les exigences du nouveau texte. Simon Tumawaku, vice-président de la Chambre des Mines de la FEC et ex-ministre des Mines en 2002, est presque « l’architecte » de l’ancienne loi. Il a participé activement à la révision de la loi que lui-même avait élaborée. Longtemps avec les privés, il vient de basculer dans le secteur public avec sa récente désignation pour représenter les intérêts de l’Etat à TFM. S’il donne les chiffres de production et les perspectives du secteur minier, il devient nuancé concernant la nouvelle loi. Il a une double casquette comme Yuma. Tantôt avec les privés, tantôt avec l’Etat. De plus, tous deux sont des Congolais. De quoi alimenter la rumeur sur leur attitude patriotique. Leur ambivalence provoque le doute de certaines multinationales qui les accusent de « ne pas défendre correctement les intérêts des miniers ». S’agit-il d’une « trahison » ou d’une « guerre » entre le capitalisme et le nationalisme ? Crise de confiance et méfiance entre les membres de la FEC. Mécontent de l’ambigüité au sein du patronat, un opérateur a déclaré ceci dans les couloirs : « Nous n’avons jamais mandaté quiconque pour parler en notre nom ». Cela traduit un profond malaise.
L’ultime rencontre avec Kabila
Les opérateurs miniers ont adressé plusieurs courriers au Président Kabila pour solliciter une audience afin de lui soumettre leurs préoccupations. C’est ainsi que le 7 mars dernier, les 7 principaux patrons des compagnies minières ont échangé avec le Président de la République pendant 8 heures. La rencontre intervient à un moment capital : La loi a été votée au parlement et n’attend que la promulgation. Le Président n’a plus de marge de manœuvre pour modifier quoi que ce soit ou la sursoir. Légalité oblige ! Rien de spécial dans le communiqué issu de cette rencontre. Le communiqué fait seulement mention d’un règlement minier qui accompagnera le nouveau code et d’un dialogue constructif entre les partenaires. Quelques analystes lient la situation politique du pays à la loi. « On connaît l’influence des multinationales auprès de leurs pays d’origine et de leurs gouvernements. Le régime de Kinshasa est sous pression de certaines puissances étrangères. Kinshasa en position de force peut jouer cette carte pour desserrer l’étau. Le nouveau code peut être promulgué sans être appliqué », note un observateur averti.
Encore le suspens
L’Etat congolais est sur un point de non retour. Mais attention, les miniers ne désarment pas. Certains menacent de saisir la justice internationale. Quelles seraient les accusations formulées contre la RDC dans une telle hypothèse ? Cependant, d’éventuels procès peuvent préjudicier l’une ou l’autre partie. D’autres menacent de quitter le pays en arrêtant leurs activités si le nouveau code est promulgué. Leur argument repose sur l’exemple de la Zambie et d’autres Etats qui ont modifié leurs lois. Ces derniers ont connu une forte crise économique et sociale avec la fermeture des compagnies, la baisse sensible des recettes et la perte des emplois. Chantage ou intimidation ? Très tôt pour répondre à cette question parce que la réalité est devant nous.
Pas plus tard que hier, Lonshi a noyé, les camps des travailleurs abandonnés, suite à une bourde de l’Etat congolais sur base de l’humeur d’un individu. Aujourd’hui, certains projets risquent également de se noyer.
Gomez MAYA